Des vidéos familiales mettant en scène des mineurs filmés au quotidien par leurs parents prolifèrent sur Internet.
Pour la première fois, le défenseur des droits des enfants a été saisi à ce sujet par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique.
C’est un véritable phénomène. Sur Internet, des chaînes dites « familiales » proposent des vidéos qui mettent en scène des enfants, filmés dans leur vie quotidienne, par leurs propres parents.
Ces petits films de 15 à 20 minutes environ, génèrent des millions de vues. Très populaire sur Youtube, la chaîne Néo et Swan, deux frères de 13 et 6 ans, se prêtent à toutes sortes de jeux, tests de produits de marque, escapades et autres défis, devant l’objectif de leur maman. Sophie, dont nous n’entendons que la voix, les guide, les encourage et commente tout ce qu’ils font. Néo et Swan a réalisé environ 3 milliards de vues en deux ans.
Sur ces chaînes dites d’« unboxing » (littéralement, « déballage »), concept d’origine américaine, les enfants montrent devant la caméra des cadeaux, des jouets… Même chose avec les bonbons et sucreries que les protagonistes dévorent en citant les marques. Une publicité à peine déguisée qui fait grincer les dents de bien des instances de protection de l’enfance. Et ce n’est pas tout.
Pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), ces vidéos représentent un travail illicite de mineurs, à l’initiative des parents. En effet, ces derniers en tirent de substantiels revenus. Certains peuvent gagner jusqu’à 100 000 € par mois selon l’Observatoire.
Certaines chaînes publient jusqu’à 35 vidéos par mois. Soit 6 à 7 par semaine, pour une même famille. « Ces enfants sont privés de loisirs, ou plutôt, ces tournages sont devenus leur principal loisir, qui est en réalité celui de leurs parents », alerte Thomas Rohmer, fondateur de l’Open.
Travail déguisé
Au regard du droit, ce pourrait être, non pas un loisir, mais bien un travail déguisé dès lors que sont réunis plusieurs facteurs : un lien de subordination entre parents et enfants, une récurrence des tâches et des revenus touchés par les parents. En saisissant la défenseure des droits des enfants, le 1er août dernier, quelques semaines après avoir saisi le Conseil national de la protection de l’enfance (Cnpe), l’Open souhaite attirer l’attention sur le vide juridique qui existe sur la Toile. « Il s’agit de mettre place un système de protection et d’accompagnement de ces enfants », explique Thomas Rohmer. « Qu’ils aient les mêmes droits que sur un plateau de tournage classique : durée de travail limitée, revenus déposés sur un compte bloqué accessible uniquement à leur majorité… », plaide-t-il.
Si les démarches aboutissent à faire évoluer la législation, celle-ci contribuerait à éviter la répétition de « l’affaire Jordy, » du nom de cet ex « enfant star », né en 1988, qui avait attaqué ses parents pour obtenir gain de cause.
Enfin, une loi adaptée permettrait aussi de protéger les milliers d’enfants abonnés à ces chaînes. Ces jeunes spectateurs se trouvent en effet soumis à de la publicité déguisée, parfois de façon pernicieuse.