A deux ans, 68% des enfants regardent la télé tous les jours et un tiers ne joue presque jamais au ballon selon une étude de l’Ined et de l’Inserm sur les écrans et les activités physiques. Télévision, tablette, smartphone… Cette surconsommation a-t-elle un impact sur leur développement cérébral ? Peut-on parler d’addiction ? Faut-il s’inquiéter ? Conseils.
A l’âge de 2 ans, deux enfants sur trois regardent la télévision tous les jours et 33% des petits de cet âge jouent seulement occasionnellement, voire jamais, au ballon, rapporte le quotidien Le Figaro. Concernant les autres écrans de type tablettes, ordinateurs, consoles ou smartphones, ils sont 20 à 30% à les utiliser de manière hebdomadaire. C’est ce que montrent les résultats d’une enquête de l’Ined et de l’Inserm menée dans le cadre de l’étude longitudinale Elfe, présentée fin décembre à la Direction générale de la santé (DGS) et rendue publique ce 2 janvier 2019. Ce travail national, étudiant les comportements de plus de 13 000 enfants, permettra de définir les futures recommandations françaises et de mieux cibler les populations les plus exposées précocement aux écrans.
Par ailleurs, ce qui pose problème, « ce n’est pas les écrans en eux-mêmes, mais le manque d’interactions entre parents et enfants à cause de ces outils » précise au journal Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique. En effet, 44% des mères partagent peu d’activités physiques avec leur bébé, qu’il s’agisse de jouer au ballon, d’aller à la piscine ou de se promener en famille, souligne l’étude.
Puisqu’il n’existe encore aucune recommandation en France précisant de ne pas exposer les très jeunes enfants aux écrans, le Sénat a adopté le 20 novembre 2018 une proposition de loi portée par la sénatrice Catherine Morin-Desailly. Le texte devrait obliger les fabricants d’outils et de jeux numériques à indiquer « un message à caractère sanitaire » sur les emballages, mentionnant que l’utilisation des outils numériques nuirait au développement des enfants de moins de trois ans. Ce message devrait également être présent sur toutes les publicités concernant ces produits. Si cette proposition de loi a reçu le soutien de tous les groupes du Sénat et de La République En Marche, il faut encore la préciser. Le Haut conseil de la santé publique a ainsi été saisi afin de faire « la synthèse des connaissances disponibles » et de proposer « des recommandations afin de diffuser une information basée sur des preuves scientifiques ».
Pourtant, si un usage modéré et occasionnel n’est pas incompatible avec l’éveil et l’éducation des enfants, un usage excessif des écrans, surtout très jeune, nuirait au développement cérébral de l’enfant, précisent plusieurs études sur le sujet. Alors, à partir de quel moment la consommation des écrans peut-elle devenir un réel problème ? Quels sont les signes qui doivent alerter ? Comment l’aider à s’en détacher ? Que penser des jeux sur tablettes et autres dessins animés d’éveil ? Conseils du Dr. William Lowenstein, addictologue et président de SOS Addictions.
Peut-on vraiment parler d’addiction ?
« On ne peut pas parler d’addiction aux écrans chez les jeunes enfants. »
Si votre enfant a du mal à se séparer de sa tablette ou d’un téléphone, et que la première chose qu’il fait le matin est de regarder la télé, est-ce que cela signifie qu’il est addict aux écrans ? S’il est indéniable que dans certains cas, les écrans induisent des comportements qui s’apparentent à une forme de dépendance, cela relève plus d’un plaisir que d’une véritable accoutumance. « On n’a pour l’instant aucune donnée fiable sur une potentielle addiction des écrans chez les tout-petits (moins de 3 ans) et donc, aucune addiction ne peut être avérée à cet âge-là », affirme d’emblée le Dr. Lowenstein. Ce que l’on nomme « addiction » correspondrait donc à un stade plus complexe et aurait des conséquences néfastes bien plus lourdes pour l’usager. D’autant plus que la dépendance des écrans pour des âges supérieurs – chez les enfants de 3 ans et plus – est déjà difficile à définir : « elle devrait être bientôt précisée et reconnue médicalement parlant en 2018 par l’OMS « , nous renseigne l’addictologue, « et devrait figurer dans la 11e liste de la Classification internationale des maladies » (NDLR : Depuis cet entretien mené en février 2018, l’addiction au jeu vidéo a intégré la CIM-11 de l’OMS). Toutefois, sans parler d’addiction, on remarque chez certains jeunes enfants un comportement obsessionnel qui « ne va pas pour autant se transformer en accoutumance sévère lorsqu’ils vont grandir ou avoir des conséquences irréversibles sur leur santé », tient à rassurer l’addictologue. Dans la plupart des cas, les symptômes liés à une pratique excessive cessent dès lors que l’on fixe un cadre à l’enfant lui permettant de réguler son usage. Pour autant, il convient de rester vigilant dès les premiers signes d’alerte.
Quels signes peuvent alerter ?
Si, comme en atteste l’Académie des Sciences dans un rapport de 2013 sur « L’enfant et les écrans », l’évolution numérique a « des effets positifs considérables sur l’acquisition des connaissances et des savoir-faire tout en contribuant à la formation de la pensée et à l’insertion sociale des enfants », une surconsommation des écrans aurait quant à elle des répercussions sur leur bien-être, leur langage, leur attention, leur relations sociales et leur sommeil. En somme, tout serait donc une question de façon de consommer et de temps de connexion. Alors, à partir de quel moment l’usage des écrans devient-il problématique ? Un jeune enfant qui est collé à un écran (plusieurs heures par jour), qui échange de moins en moins avec sa famille ou ses frères et sœurs, qui s’isole, qui a besoin de sa tablette pour s’endormir ou pour manger, qui ne trouve du plaisir qu’à travers les appareils numériques, qui a une attitude passive face au monde qui l’entoure… sont autant de « motifs d’inquiétudes », met en garde William Lowenstein. Il précise que « l’écran joue alors un rôle de refuge pour l’enfant, qui peut altérer sa capacité d’empathie et de sociabilisation ». L’enfant peut être un peu « sauvage », « être dans sa bulle », comme s’il n’était plus habitué à côtoyer le monde extérieur. « Mais attention, aucune étude à ce jour ne permet d’établir une relation de causalité entre consommation d’écrans et spectre autistique », tient à préciser l’addictologue. Peuvent s’ajouter à cela des troubles de l’endormissement, de l’alimentation et de l’excitation. En outre, le temps passé sur les écrans empiéterait sur les moments consacrés à d’autres activités récréatives (sport, activités manuelles, culturelles, jeux de société…), essentielles dans la quête de certaines valeurs comme le partage ou l’esprit d’équipe. L’écran, quand il est consommé à outrance et de manière précoce, va alors impacter le bon développement psychologique, social et physique de l’enfant. Il va donc falloir lui apprendre à s’en passer.
Que traduit cette consommation abusive ?
« L’écran doit être un outil de partage plutôt qu’un outil de séparation »
« Un usage excessif des écrans doit interroger sur la relation parents/enfants », soulève William Lowenstein, « si on laisse des jeunes enfants devant un écran 3 à 6 heures par jour, c’est qu’il y a potentiellement une carence d’attention voire une carence éducative. Même si ces parents ne pensent pas forcément mal faire », ajoute-t-il. On parle ici d’enfants qui passent énormément de temps sur les écrans, sans la présence de leurs parents. « L’idée n’est pas d’entrer dans une psychose et de bannir totalement tous les moyens informatiques », rassure l’addictologue. Proposer de temps en temps à son enfant de jouer à un jeu d’éveil sur une tablette éducative ou de regarder un dessin animé est tout à fait envisageable, à condition qu’il y ait « un véritable accompagnement du parent » : l’outil numérique va alors être un objet de partage et d’échange entre l’enfant et son parent, comme le serait un jeu de société, une balade au parc ou une activité sportive en famille. Cela devient problématique si l’écran est perçu comme un moyen de séparation, voire de chantage associé systématiquement aux actes fondamentaux comme manger ou dormir. Par exemple, un enfant de 4 ans, qui serait incapable de s’endormir sans un épisode de Peppa Pig et ne touchera pas à son assiette tant que sa partie de Lulu la Taupe ne serait pas terminée. De la même façon, « il faut faire attention aux aides un peu faciles : si la tablette ou la télévision restent pratiques pour occuper les enfants, ils ne doivent pas remplacer la présence des parents ou de la nounou », prévient-il. De fait « comment voulez-vous que le virtuel et le numérique n’altèrent pas la relation d’éveil nécessaire entre l’enfant et son parent lorsque la télé est allumée en permanence, quand YouTube calme les gros chagrins, quand la tablette accompagne les repas et le portable, les trajets en voiture ? », s’interroge l’expert.
En pratique, comment l’aider à s’en détacher ?
Modifier ces habitudes, ce n’est pas toujours facile, d’autant plus s’il y a une fratrie. Et surtout, ça demande un peu d’investissement ! « Il faut que ce soit une démarche familiale », pose d’emblée l’expert. Ainsi, la présence des parents est indispensable lorsque l’enfant est en contact avec des écrans car l’enfant doit toujours être accompagné dans ses découvertes. Avant 3 ans, mieux vaut limiter le plus possible l’usage des écrans, voire complètement les écarter. Si votre enfant est déjà en contact avec des écrans, réduisez progressivement les temps de connexion et à la place, proposez-lui d’autres activités : favoriser les jeux de construction, les activités artistiques (dessin, peinture…), regarder un livre, visiter un parc animalier ou de loisirs, aller à un spectacle pour petits… A des âges précoces (entre 3 et 6 ans), l’addictologue conseille de ne pas laisser l’enfant seul avec ces nouvelles technologies et de respecter des durées d’usage courtes. Jusqu’à 10 ans, « vérifiez comment l’enfant utilise le numérique : échangez avec lui sur ce qu’il voit, ce qu’il y fait, ce qu’il y trouve, ce que cela lui procure et comment il le perçoit », conseille-t-il, « Internet et plus généralement le numérique est un pays nouveau pour l’enfant : on ne laisse pas son enfant le découvrir tout seul sans l’accompagner et sans le prévenir des règles de bonne conduite et des éventuelles dérives ». Et surtout, les parents doivent donner l’exemple, donc ne pas être scotchés en permanence à leur smartphone ou allumer la télé dès qu’ils ont un moment de libre. Par ailleurs, les écrans n’ont pas leur place au moment des repas ou dans la chambre. En somme, évitez que la connexion au numérique « ne puisse déboucher sur un usage excessif et n’empiète sur le lien familial », conclut l’expert. Et si malgré votre vigilance, l’usage des écrans reste toujours très problématique ou que votre enfant présente un retard de langage, une grande anxiété, un désintérêt total pour d’autres activités, s’isole constamment dans sa chambre et demeure obsédé par les écrans, n’hésitez pas à l’emmener voir un psychologue qui pourra désamorcer la situation et mettre en place de nouvelles pratiques.
Ce livre, écrit par le Dr William Lowenstein et le Dr Laurent Karila, s’adresse aux parents d’enfants ou d’ados qui veulent comprendre les origines et les mécanismes des addictions. Il fait le point sur les nouveaux comportements addictifs, notamment à propos des écrans, les approches actuelles des traitements, mais aussi sur les plans de prévention encore trop peu exploités. Tous addicts, et après ? Aux éditions Flammarion.
Les jeux vidéo, l’objet d’une véritable addiction ? En juin 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé a reconnu l’addiction aux jeux vidéo comme étant une pathologie, au même titre que l’addiction aux drogues dures ou aux jeux d’argent. Le « trouble du jeu vidéo » a donc intégré la 11e version de la Classification internationale des maladies (CIM, en anglais ICD), qui a fait, pour la première fois depuis 1990, l’objet d’une mise à jour.