Les parents en ligne de mire : la dernière étude MEDIAMETRIE-OPEN et UNAF met en lumière toutes les contradictions de la parentalité numérique.
Tiraillés de toutes parts, les parents sont pris au piège de nombreuses pressions sociales, mais ils peuvent mieux faire.
Publiée lundi 10 février, l’enquête “La Parentalité à l’épreuve du numérique”, commandée par l’OPEN et l’UNAF, est riche d’enseignements. Elle réserve aussi quelques surprises…
En bref : la vie n’est pas facile pour les parents à l’ère du tout-numérique, mais nous pouvons faire beaucoup mieux pour accompagner et protéger nos enfants. Au travail !
Les enseignements de l’enquête :
1. Les parents, plus connectés que leurs enfants
Haro sur le mythe de l’enfant qui passe son temps sur internet : ce sont les parents qui sont surconnectés.
Les parents passent plus de temps sur internet que leurs enfants: 96% des parents utilisent internet au moins une fois par jour, contre seulement 35% des enfants. Attention cependant, il s’agit du temps en ligne, et pas uniquement du temps d’écran : télé, console de jeux, jeux sur smartphone ou tablette ne sont pas forcément représentés dans ce chiffre.
Il faut tout de même regarder la réalité en face : il est peut-être temps pour nous parents de lever le pied.
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2. Un taux d’équipement des enfants vraiment impressionnant
La trinité smartphone – télévision – ordinateur est présente dans quasiment tous les foyers. 91% des foyers sont équipés d’un smartphone, 91% sont équipés d’une télévision, 90% d’un ordinateur. Ils sont suivis de près par les consoles (70% des foyers) et les tablettes (70%).
Le taux d’équipement des enfants eux-mêmes est très élevé : ils sont très tôt propriétaires de leurs propres appareils. À 10 ans, ils sont 35% à posséder leur propre console de jeu, 28% leur propre tablette, et 11% leur propre téléviseur. Le téléphone portable arrive très vite aussi : entre 11 et 14 ans, ils sont 65% à posséder le leur.
3. Des enfants gâtés, mais la faute à qui ?… Les parents ont le cadeau facile
Les enfants, ces petits capricieux qui sont tout le temps en train de réclamer, qui nous font la scie et finissent par nous avoir à l’usure ? Pas si vite…
Pour le smartphone, la tablette, l’ordinateur et la télévision, lorsque l’enfant possède le sien, c’est dans la majorité des cas parce qu’il l’a reçu en cadeau. Si l’on en croit les réponses des parents, ce cadeau anticipe même les exigences de l’enfant : seuls 11% des parents disent avoir été obligés de « céder à une demande insistante » pour le smartphone, et 8% pour la console de jeu.
Nous voulons faire plaisir à nos enfants… sans forcément nous rendre compte de nos contradictions. Avons-nous vraiment le droit de nous plaindre de la présence d’un appareil et des conflits que son usage provoque, quand c’est nous qui sommes responsables de sa présence dans le foyer ?
Il ne faut pas cependant minimiser les nombreuses pressions sociales dont les parents font l’objet, parfois de la part d’autres parents :
« Ma seule crainte par rapport à ça, c’est de ne pas l’exclure: je ne voudrais pas qu’elle soit différente des autres. Dans sa classe, presque tous les enfants ont un portable ; ils communiquent le soir. Elle, elle ne le fait pas. Plusieurs autres mamans m’ont reproché de ne pas avoir donné de portable à ma fille. Elles m’ont dit « tu te rends pas compte, tu l’exclus, à cause de toi elle est mise à part ».
Josiane, 47 ans, maman d’une fille de 12 ans
Source : Enquête Anthropoado, « La parentalité numérique »
Un autre enseignement de l’étude est que les enfants sont équipés très tôt : en moyenne, la première console de jeu arrive à 7,3 ans, le premier smartphone juste avant 10 ans, la tablette juste avant 7 ans, et l’ordinateur à 8 ans et demi.
Certes, ces appareils semblent incontournables ; en priver totalement nos enfants est difficile, voire impossible; mais il serait peut-être bon de retarder leur acquisition. Parce qu’il y a de la marge. En s’armant de patience et en étant pédagogique, attendre 12 ans pour le smartphone ou 9 ans pour la console ne devrait pas être mission impossible.
4. Les parents, au centre de toutes les pressions
Certains résultats de l’étude laissent songeur : 81% des parents utilisent leur portable devant leur enfant – encore un exemple du « fais ce que je dis, pas ce que je fais… » ?
La surconnection des parents est aussi le signe d’une tendance sociétale. Il est trop facile de jeter la pierre à des parents que l’on imagine démissionnaires, alors qu’ils sont soumis à l’impératif du « toujours joignable ». En effet, si les parents passent autant de temps sur leur smartphone, il faut aussi savoir à quoi ce temps est occupé. Candy Crush ? Ou emails du boulot ?…
Dans un cas comme dans l’autre, il faut démêler les fils et s’interroger sur son propre usage. Sans ça, difficile de montrer le bon exemple.
5. Des parents inquiets et qui veulent bien faire. Trop bien faire ?
Il est intéressant de voir que les parents plus jeunes, 25-34 ans, sont en moyenne plus pessimistes que les parents de 50 ans et plus, quand on leur demande quelle est l’influence des écrans sur leurs enfants. Ces parents jeunes qui ont eux-mêmes grandi avec les écrans (télé et ordinateur, consoles de jeu…) en connaissent-ils mieux les dangers ? Ou est-ce qu’ils doutent plus facilement de leurs compétences de parents ?
Pour Thomas Rohmer, ce résultat est révélateur d’une tendance plus profonde : les parents plus jeunes sont constamment bombardés d’injonctions éducatives souvent contradictoires et inutilement anxiogènes.
Dans les média, on l’a vu récemment avec l’emballement autour de « La Fabrique du crétin digital », le ton est sensationnaliste, voire catastrophiste.
Les campagnes de santé publique sont parfois formulées sous forme d’interdiction totale, pure et simple (« Pas d’écrans avant 3 ans ») : comment s’assurer que son enfant ne voie aucun écran avant 3 ans… quand la salle d’attente du pédiatre est équipée d’une télé, quand la maîtresse met un dessin animé parce qu’il pleut pendant la récré, quand ces maudits écrans nous suivent partout, tout le temps ?
« Avec ma fille, j’ai un peu plus de mal avec les règles, elle est dans sa chambre, je lui dis “maintenant les écrans, ça suffit” mais le problème c’est qu’elle est au collège et pour avoir les devoirs, elle est obligée de passer par l’application Pronote. Et, donc, légitimement, elle peut aller sur internet. »
Amandine, 46 ans
Source : Enquête Anthropoado, « La parentalité numérique »
Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant que le découragement guette. Selon Thomas Rohmer, « Les parents ont l’impression de devoir se transformer en gardes du corps. La pression sociale est incroyablement forte : on intègre le message qu’il faut garantir le risque zéro en permanence, alors que c’est impossible. On est dans une logique de surprotection et les parents sont facilement montrés du doigt, jugés irresponsables au plus petit manquement. C’est très culpabilisant. »
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6. Pourtant, il existe des solutions – et les parents les connaissent déjà
Lueur d’espoir, un résultat fascinant de l’étude est que les parents prennent déjà les choses en main. De l’interdiction pure et simple aux manœuvres de négociation, beaucoup de parents pratiquent déjà un large éventail de stratégies pour protéger leurs enfants d’un excès d’écrans.
Interdire l’utilisation des écrans à table ou dans la chambre, avoir des activités en commun avec son enfant pour le détourner des écrans, contrôler les contenus visionnés, accompagner activement son enfant, respecter les signalétiques d’âge, parler avec son enfant de l’usage qu’il fait des écrans, modifier son propre comportement pour montrer l’exemple… L’étude montre bien que les parents sont créatifs et volontaires quand il s’agit de fixer des règles.
L’ironie est flagrante : alors que l’air du temps est aux messages alarmistes et défaitistes, quand il s’agit des stratégies qu’ils mettent en place eux-mêmes, les parents les jugent non seulement faciles ou pas trop difficiles à mettre en oeuvre, mais surtout efficaces.
Preuve que les parents ont beaucoup de cartes en main pour accompagner leurs enfants dans des usages harmonieux et épanouissants des écrans. Le fossé est surtout entre les parents qui n’ont pas vraiment fixé de règles claires, ou ont tenté de les introduire trop tard, et les parents qui ont su donner tôt quelques règles de base.
Moralité : au lieu de chercher la solution miracle ou de déclarer forfait trop vite, les parents peuvent plutôt faire confiance à leur instinct et à leurs valeurs.
C’est vous qui connaissez le mieux votre enfant, et vous saurez trouver les solutions “maison” les plus appropriées.
Retrouvez l’étude ici :
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