Défis, voyages en famille, déballage de jouets… Les chaînes familiales pullulent en ligne. Certaines sont même devenues un business géré par les parents, que la loi devrait bientôt encadrer.
Coucou les garçons – Bonjour tout le monde – Comment ça va aujourd’hui – Très bien. Néo, 14 ans et Swan, 8 ans, sont suivis par quelque 4,4 millions d’abonnés sur YouTube. Comme les professionnels, ils démarrent toujours leurs vidéos par le même refrain. Depuis plus de quatre ans, les deux frères relèvent des défis, testent des jeux et découvrent des produits, le plus souvent envoyés par des marques. Ce jour-là, ils s’apprêtent justement à débuter une session « unboxing » (déballage de produits) avec des calendriers de l’avent. Derrière la caméra, Sophie, leur mère.
Si la chaîne Néo & Swan est l’une des plus connues, ils sont loin d’être les seuls sur le créneau des chaînes familiales Studio Bubble tea (pionnier du genre en France), Gabin et Lili, Démo Jouets… Sans compter les personnalités, adeptes du « sharenting » . Soit le fait de partager leur vie de parents, et donc celle de leurs enfants. Les candidats de téléréalité Carla Moreau et Kevin Guedj, sont allés jusqu’à filmer la naissance de leur fille Ruby pour une émission Carla + Kevin = bébé Ruby (W9 6Play), et lui ont créé un compte Instagram, où la petite est suivie par près de 600 000 abonnés.
« Pas l’interdiction, mais l’encadrement »
Ce phénomène, venu des États-Unis, inquiète. Notamment car l’enfant devient une source de revenus pour les parents. Et parfois même, une marque, avec, pour certains, des produits dérivés à leur effigie. Des lanceurs d’alerte, comme Lilian, alias le Roi des rats sur YouTube, s’en alarment depuis quelques années. En 2016, il avait lancé une pétition en ligne pour demander au ministère du travail d’encadrer l’activité des enfants sur YouTube. En vain, malgré 40 000 signatures.
Créé il y a quatre ans, l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique suit aussi ce sujet de près. L’an dernier, on a alerté le défenseur des enfants, le conseil national de protection de l’enfance et on a déposé deux demandes de requalification de l’activité d’unboxing, qu’on estime être du travail dissimulé, auprès de deux parquets, liste Thomas Rohmer, son président. On n’est pas pour l’interdiction, mais pour l’encadrement de ces pratiques, parfois très lucratives.
Grâce à la monétisation des vidéos et aux partenariats (placement de produit, code promo…) avec des marques, certaines chaînes se révèlent être de véritables mines d’or ; jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois pour les plus populaires d’entre elles.
Étendre le régime des enfants du spectacle
On parle d’une dizaine de chaînes en France. On sait que certains parents ont arrêté de travailler pour se consacrer entièrement à cette activité , indique le député LREM Bruno Studer, qui, mercredi 4 décembre, a déposé une proposition de loi pour pallier le vide juridique actuel. En France, le travail des enfants est interdit, sauf dérogations. L’idée est d’étendre le régime protecteur des enfants du spectacle aux enfants participants à la réalisation de contenus sur des supports numériques, comme YouTube, Instagram ou Tiktok. Cette loi est plutôt bien fichue, estime Thomas Rohmer, puisqu’elle protège à la fois le temps de travail, avec des horaires aménagés, et les revenus des enfants du spectacle, qui doivent être consignés à la caisse des dépôts jusqu’à leurs 18 ans.
Restera à identifier les situations de travail, ce qui s’annonce difficile tant les usages évoluent vite. La proposition de loi, elle, pourrait soit être examinée par les députés directement, soit se concrétiser plus rapidement par des amendements au prochain projet de loi audiovisuel.