Le documentaire d’A.M Avouac “Pornographie, un jeu d’enfant”, diffusé le 9 octobre sur France 2, est le résultat d’une lente prise de conscience selon Thomas Rohmer.
Pornographie, un jeu d’enfant : un documentaire choc
Il y a deux ans, la réalisatrice Anne-Marie Avouac contacte Thomas Rohmer, président de l’OPEN, avec un projet de documentaire. Pendant plusieurs semaines, elle l’a suivi sur le terrain et a pu assister à des conférences qu’il anime avec des experts dans les établissements scolaires, ainsi qu’à des groupes de parole avec des parents.
Le documentaire “Pornographie, un jeu d’enfant”, diffusé le 9 octobre 2019 sur France 2, est en partie le fruit de cette rencontre.
Tout commence en 2017 avec l’enquête IFOP commandée par l’OPEN sur “Les adolescents et le porno: vers une génération YouPorn ? ”
“C’était la première fois depuis dix ans qu’on réactivait ce thème,” rappelle Thomas Rohmer; “ nous souhaitions obtenir des données factuelles, afin de pouvoir partir d’un postulat concret. Il s’agissait de mesurer la véritable ampleur du problème, sans tomber dans le fantasme ou la panique morale.”
Les résultats sont sans appel : 63% des garçons et 37% des filles entre 15 et 17 ans avaient déjà visionné des films pornographiques et l’âge ne cesse de rajeunir.
> Lire l’étude OPEN-IFOP “Ados et porno: vers une génération YouPorn ? ”
Convaincre les politiques
Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, confie à Thomas Rohmer et à son administration centrale l’animation d’un groupe de travail sur le thème de la protection de l’enfance face à la pornographie. En mars 2017, Agnès Buzyn prend la suite. Parmi les propositions du groupe de travail, la signature d’une charte qui réussit à mobiliser l’ensemble des acteurs concernés et qui est aujourd’hui portée politiquement par Adrien Taquet.
“Face à la déferlante de porno gratuit, trop facilement accessible en ligne, mon premier souci était de faire une prévention réellement efficace qui sortait des sentiers battus. Explorer de nouvelles formes de communication plus impactantes et sans se mettre d’oeillères était impératif ».
En parallèle Thomas Rohmer commence à travailler avec Ovidie, dont le documentaire “Pornocratie” a fait beaucoup de vagues, valant à tous ceux qui décidaient de le diffuser de nombreuses menaces.
Lire aussi: “Pornocratie, un docu ‘choc’ réalisé par Ovidie – interview”
Ne pas tomber dans le piège de la censure
“Les parents que je rencontre dans les conférences et les groupes de parole sont souvent dans le même état d’esprit : ils n’osent pas regarder le problème en face. Le porno, ça concerne toujours les enfants des autres…
“En 2017 c’était un sujet complètement tabou, les politiques ne voulaient pas en entendre parler. Dans l’opinion publique, nombreux étaient ceux qui pensaient que vouloir aborder le problème revenait à vouloir contrôler internet et dicter aux gens ce qu’ils ont ou pas le droit de regarder.
“Il ne s’agit pourtant pas de ça : la position de l’OPEN est claire, si des majeurs souhaitent regarder du porno, ils doivent pouvoir être libres de le faire. Mais il est primordial d’assurer la protection des enfants. Et il ne faut pas se voiler la face, l’image de la femme dans les films porno est souvent catastrophique. Il fallait donc attaquer le problème sous ces deux angles-là.
“Il est quand même tragique qu’il soit si compliqué de parler de sexualité en France en 2019 – c’est d’autant plus important qu’une partie de la solution passe par là. Il est vital, pour la protection des enfants, de pouvoir restaurer des espaces où la parole est libre et bienveillante autour de ce sujet si complexe.”
“Les enfants passent directement du Monde de Némo au… monde de Rocco”
L’OPEN milite pour une meilleure protection des enfants dans les espaces numériques en informant et en responsabilisant tous les adultes référents autour d’eux. Chaque année, l’OPEN informe et forme des milliers de parents et de professionnels lors de conférences. On constate que les problèmes sont toujours les mêmes : on croit que ça n’arrive qu’aux enfants des autres mais on ne peut pas s’empêcher de s’inquiéter. Le piège ? On a souvent tendance à faire porter la responsabilité de cet immobilisme aux enfants qui n’en sont que des victimes.
Beaucoup d’adultes sont prisonniers de leurs difficultés à aborder le sujet avec leur enfant, et Thomas Rohmer défend l’idée que ce n’est pas forcément aux parents d’en parler : il est plus facile de mettre son enfant en garde contre les drogues et de lui parler de son “premier joint”, que de répondre à ses questions sur la sexualité. Selon lui, » chacun doit se sentir libre d’en parler ou pas, en tant que parent si on ne parvient pas à le faire, notre rôle demeure néanmoins d’orienter nos enfants vers des personnes (ou des sources) de confiance qui sauront trouver les mots ».
Il est pourtant essentiel de prévenir les enfants afin qu’ils sachent mieux se protéger. C’est inéluctable, avec la prolifération des écrans : les enfants vont, à un moment ou à un autre, tomber sur des images pornographiques. Soit ils ne les recherchent pas et ils y sont confrontés malgré eux, via une fenêtre pop up ou les recommandations d’un algorithme. Soit en grandissant ils deviennent curieux et ont des questions qu’ils n’osent pas poser aux adultes. Le porno joue alors un rôle de « tutoriel » occasionnant chez les plus fragiles des situations dramatiques.
Quoi qu’il en soit, il faut que les adultes sachent trouver les mots pour préparer les enfants à ce premier contact choquant avec des images qui, faut-il le répéter, ne leur sont pas destinées. Si le fait de diffuser des images à caractère pornographique à des mineurs est interdit par la loi, ce n’est pas pour rien ! Et pourtant, en moyenne, l’âge de la première exposition au porno ne cesse de baisser, selon les études il varie de 10 ans à 14 ans.
Une obligation urgente : créer des espaces de parole sur la sexualité pour les adolescents
Avec le groupe de travail sous l’égide du Ministère de la Santé, les collaborations d’Ovidie et Céline Tran, qui connaissent parfaitement le milieu du X et qui, en tant que femmes, ont analysé l’évolution très problématique du secteur, et désormais la diffusion du documentaire d’Anne-Marie Avouac, il s’agissait d’ouvrir le débat, de « libérer la parole et de ne plus opposer protection de l’enfance et libertés individuelles ».
Il doit être possible, afin de mieux protéger les enfants, de pouvoir parler de pornographie et de sexualité de façon mesurée dans les médias grand public, à la radio ou la télé. C’est tout l’objectif de cette soirée spéciale sur France 2.
Il faut comprendre et accompagner les parents, les aider dans leur questionnement et arrêter de faire l’autruche quant aux besoins de libération légitime de la parole des adolescents.
C’est également l’objectif des modules et des fiches pédagogiques (réalisés en partenariat avec France TV, la ligue de l’enseignement, Canopé et l’OPEN) en consultation libre sur le site de France TV education mais aussi de l’émission Sea, Sex & Sex disponible sur Youtube et produite par l’OPEN.
Tant que nous ne serons pas en mesure de répondre à leurs questions, le porno le fera à notre place ! À nous de choisir !
Documentaire “Pornographie, un jeu d’enfant”, diffusion le 9 octobre 2019 sur France 2 à 22h40, dans le cadre de la soirée thématique “Pornographie, jeunesse en danger”, à partir de 21h15.