Les adolescents occupés, concentrés derrière leurs écrans de smartphone ou leurs consoles de jeux vidéo peuvent s’y ennuyer !
Des nos jours, nos enfants et nos adolescents n’ont pas le droit de s’ennuyer
Au XXIe siècle, l’ennui semble interdit d’existence et il est bien souvent difficile pour les adultes de supporter l’ennui, le leur, tout comme celui de leurs enfants ou adolescents.
Les enfants, dès la prime enfance, en contrepoint des adultes, se retrouvent fréquemment dotés d’emplois du temps ministériels, entre foot, piscine, danse, judo, orthophoniste, dentiste (et psychologue, bien sûr, pour comprendre ce qui les tracasse !)
Et quand ils sont à la maison, lieu propice au calme et à la tranquillité, les activités manuelles, sportives, scolaires ont le vent en poupe, pour ne pas laisser souffler le petit… et lui éviter ce fameux ennui. Le numérique intervient déjà là chez les plus jeunes, comme activité pour contrer l’ennui, à travers la télévision (avec ses chaînes spéciales pour les bébés ayant amené à la pétition de Tisseron [2001] !) et les tablettes et consoles de jeux vidéo, tous ces écrans, miroirs aux alouettes, cherchant à empêcher l’enfant de se sentir seul.
À l’adolescence, l’ennui prend une autre dimension que dans la petite enfance et la latence. L’adolescent alterne entre des mouvements de socialisation et de solitude vitale. L’ennui semble important pour le développement et la créativité du sujet, il laisse place au vide, et, en écho, à la pensée, à la rêverie, à l’errance psychique. Dans les moments d’ennui, ce qu’il pense, ce qu’il rêve n’appartient qu’à lui. L’adolescent peut ainsi paraître passif, sembler dans l’inaction, sans être toutefois en train de s’ennuyer. De la même façon, nous remarquons que les adolescents peuvent paraître occupés, concentrés derrière leurs écrans de smartphone ou leurs consoles de jeux vidéo, et… s’ennuyer !
L’ennui numérique très présent chez les adolescents
Les écrans et activités numériques sont très présents à l’adolescence, mais qu’en est-il de l’ennui ? À travers une enquête ethnographique de Menrath (2014), l’immersion des adolescents dans les écrans n’apparaît pas une réponse contre l’ennui, au contraire !
Cet ennui se manifeste très concrètement à travers différentes expressions numériques. Ainsi, sur Twitter, depuis 2013, des hashtag #boredinschool comme #ennuitotal, ou encore sur Instagram, le hashtag #bored, comptent des millions de tweets d’adolescents disant au monde leur ennui à l’école ou dans les lieux de leur vie ordinaire.
Ces quelques exemples relevés sur Twitter montrent l’expression de l’ennui en 140 caractères : « Il se passe quoi dans la tête de ceux qui se rejoignent à l’arrêt de bus du village pendant tout l’aprem ? #EnnuiTotal », « Aujourd’hui je sens que ça va être une très très très longue journée #ennuitotal », « Et bien… Vacances improvisées pour ouam #ennuitotal ». L’ennui numérique n’est donc pas si différent de l’ennui dans la vie quotidienne.
Toutefois, aujourd’hui, l’ennui devient massivement un thème de partage : sujet partagé via les réseaux sociaux, il permet alors à l’adolescent de penser (à autre chose) et de ne plus s’ennuyer.
Les différents types d’ennui face aux écrans et aux jeux vidéo
Se dessinent plusieurs typologies d’ennui face aux écrans et aux jeux vidéo ; nous en déclinerons ici particulièrement trois types : le premier, jouer pour lutter contre l’ennui, le second, se lasser, s’ennuyer en jouant et continuer, le troisième, s’ennuyer dans les jeux vidéo, le comprendre et le partager.
La première catégorie concerne des adolescents qui luttent contre la solitude, contre le vide. Le jeu vidéo est extrêmement investi affectivement, il apparaît comme ne pouvant être dissocié du joueur. Le jeu vidéo, même parfois ennuyant, réduit l’ennui imaginable face à des journées répétitivement vides. L’angoisse liée à l’ennui est rabaissée par l’activité ludique.
La seconde catégorie fait écho à la répétition, et à la lassitude liée au fonctionnement opératoire de l’adolescent joueur. Ainsi ce joueur lançant un appel à l’aide sur un forum de jeux vidéo. L’envie de jouer est bien là, mais cet adolescent ne trouve plus de moyens de jouer sans s’ennuyer à un jeu qu’il connaît très bien. L’expertise du joueur peut expliquer l’apparition de l’ennui par lassitude.
La troisième catégorie renvoie à la question fondamentale du plaisir à l’adolescence. Les forums de jeux vidéo sont gorgés de témoignages d’ennui. « Voilà bien 6/7 ans que j’ai pas pris de plaisir avec un jeu vidéo en solo, snif… » Ici, le plaisir cède le pas à l’ennui : ces adolescents semblent mus par de nouveaux désirs, qui peuvent faire écho au désir sexualisé de leur corps pubère.
Repérer l’ennui dans le jeu, le supporter ou le transformer montre comment l’espace du jeu vidéo peut renforcer chez l’adolescent son intimité psychique, et garantir à certains moments l’ennui et, par conséquent, la pensée.
En conclusion, le jeu vidéo n’a pas tué l’ennui, encore bien présent notamment chez les adolescents. S’il peut cacher dans certains cas un ennui massif, fréquemment les adolescents peuvent parler de cet ennui. Aussi, malgré des activités chronophages, des temps morts existent encore chez les adolescents.
Rivés sur leurs écrans, ils préservent des temps pour eux, temps de rêveries, donnant l’apparence d’une occupation.
Le désintérêt de certains adultes pour le jeu vidéo, le respect de l’intimité de l’adolescent dans ses espaces numériques pour d’autres, rendent donc possible aux adolescents de préserver des temps et des espaces propres, dégagés des pressions et injonctions familiales, scolaires, sociales.
A partir de l’article : Enfance et Psy / 2016