le téléphone portable est pointé du doigt pour décérébrer nos chères têtes blondes et les exposer à une multitude de risques sur internet…Il était mis en accusation par le Tribunal pour les Générations Futures de Bouygues Télécom, le jeudi 6 septembre dernier au MK2 Grand Palais.
Les écrans numériques représentent-ils réellement un danger pour nos enfants ? Les smartphones risquent-ils d’engendrer une génération de crétins ? Voici trois raisons qui laissent à penser que nous diabolisons trop les appareils numériques, et trois autres qui tendent à démontrer que le téléphone portable représente bel et bien un danger lorsqu’il est entre les mains des plus jeunes d’entre nous.
D’après une étude réalisée cette année par CSA Research, 87 % des 10-15 ans déclarent posséder un portable, et 67 % d’entre eux depuis leur entrée en classe de 6ème. 33 % de ces millenials hyper-connectés le consulterait au moins cinquante fois par jour, et parfois même la nuit, ce qui est évidemment beaucoup, pour ne pas dire trop. Face à de tels chiffres, le bon sens indique qu’une consommation d’écran aussi importante ne peut pas être sans danger. Les détracteurs du téléphone portable affirment ainsi qu’il provoquerait chez les jeunes des troubles de l’attention et du sommeil, les empêcherait de se concentrer efficacement en classe, réduirait dangereusement leur activité physique à presque rien, les exposerait au cyber-harcèlement ainsi qu’à des images choquantes, qu’elles soient pornographiques ou simplement violentes, fortement déstabilisantes pour eux. Face à tant de périls contenus dans un si petit objet, et devant l’inquiétude grandissante des parents, le législateur a voté, le 3 août dernier, une loi interdisant aux élèves de se servir de leurs smartphones à l’école. C’est en réalité la seconde de ce type, car une première loi datant de 2010 encadrait déjà strictement l’usage du téléphone portable dans les établissements scolaires. Alors, faut-il vraiment s’opposer à son utilisation par nos chères têtes blondes ?
De nombreux avantages
1-Un outil pédagogique
Ces jugements lapidaires sur la nocivité du portable font oublier un peu vite qu’il possède également de nombreuses vertus. Mieux encore, le téléphone portable peut même se révéler être un outil pédagogique à part entière. Stépahnie de Vanssay, ancienne professeure des écoles et conseillère nationale au secteur éducation, avance que « le smartphone représente une importante plus value éducative. Il permet de faire de nombreuses choses utiles en classe, comme par exemple photographier le tableau quand un élève a oublié de copier ses cours ou lui rappeler qu’il doit ramener une autorisation parentale lorsqu’une sortie a été programmée. Le smartphone participe à l’organisation personnelle de l’espace de travail des élèves et les aide au quotidien ». Sans compter qu’il permet également d’approfondir une leçon apprise en cours grâce aux nombreuses informations disponibles sur internet. Le portable ne serait donc pas uniquement ce grand perturbateur des salles de classe à cause duquel, entre deux SMS échangés furtivement, les élèves peinent à retenir que la bataille de Marignan s’est déroulée en 1515, mais également un outil qui permet de mieux apprendre.
2-Sociabilité 2.0
Mais quid du cyber-harcèlement, qui représente aujourd’hui un danger potentiel pour tout ado surfant sur les réseaux sociaux ? 40 % de 13-17 ans avouaient l’année dernière avoir déjà subi une agression en ligne. Ne faudrait-il pas, pour cette simple raison, éloigner nos progénitures de cette hydre dévoreuse d’enfants qu’est internet ? Ce serait là aussi oublier un peu vite que dans une société qui s’est numérisée à grande échelle, ne pas posséder un portable relève plus de l’anomalie que de la norme. Stéphanie de Vanssay explique que « c’est en privant un enfant de son téléphone qu’on le prive aujourd’hui d’une grande part de sa sociabilité et qu’il risque alors d’être marginalisé. En étant marginalisé, il sera davantage exposé au harcèlement et moins apte à pouvoir trouver des solutions pour y faire face ». Paradoxalement, c’est donc en étant familier d’internet qu’un ado aura plus de chances d’éviter le piège du cyber-harcèlement.
3-Une diabolisation excessive
Est-ce qu’on ne serait pas définitivement trop durs avec le téléphone portable ? Appelé à la barre, Thomas Rohmer, président de l’observatoire de la parentalité et de l’éducation au numérique, rappelle « que ce sont les parents qui offrent un téléphone portable aux enfants pour pallier à leurs propres angoisses et que la diabolisation outrancière qu’ils en font est dérangeante, car elle les déresponsabilise et les empêche de se saisir de cet enjeu éducatif ». Le portable serait en définitive victime des angoisses liées à l’apparition d’une nouvelle technologie qui vient bouleverser des habitudes établies. Stéphanie de Vanssay abonde dans ce sens en expliquant que « quand on diabolise un objet, on évite de se poser les vraies questions de fond, celles des précautions qu’il faut prendre. Diaboliser l’objet évite de s’y confronter ». En résumé, c’est parce que nous avons peur du portable que son contrôle nous échappe.
Tous les jeunes ne sont pas capables de faire un usage raisonnable de leur portable
1-L’addiction aux écrans
La surconsommation d’écrans reste un problème majeur. Les jeunes passent trop de temps à pianoter sur leurs téléphones portables, ce qui les éloigne du monde réel. Serge Tisseron, psychiatre et fondateur de l’association « 3,6,9,12 », rappelle qu’il est « important que les parents aident les enfants à choisir ce qu’ils visionnent et contrôle leur temps d’accès aux appareils numériques, même si un certain nombre d’ados arrivent à faire un usage raisonnable de leur téléphone portable ». Ce n’est néanmoins pas le cas de tous les jeunes, loin s’en faut. Et un nombre important d’entre eux risque de développer une réelle addiction aux écrans.
2-Le porno, c’est pas un tuto
Le smartphone représente aujourd’hui le premier portail d’entrée de la pornographie auprès des jeunes. Le procureur rappelle que le célèbre site youporn se vante même d’avoir remplacé les manuels d’éducation sexuelle. Thomas Romer indique que « l’accès au porno se fait principalement aujourd’hui via le smartphone car c’est tout simplement l’objet connecté le plus répandu chez les jeunes ». Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom précise que « des offres avec un contrôle parental renforcé, tant sur la nature des contenus visionnés que sur le temps de connexion, existent aujourd’hui mais que c’est le dialogue qui reste efficace pour prémunir les jeunes du visionnage d’images choquantes ». C’est donc avant tout aux parents de faire un nécessaire travail de pédagogie, sans lequel les jeunes ne peuvent pas se protéger du visionnage d’images déstabilisantes pour eux.
3-Seuls dans la jungle d’internet
Le procureur rappelle que les jeunes sont moins aptes que les adultes à trier les informations sur internet. Entre complotisme et fake news, ils ne sont pas préparés à faire la part des choses. C’est un problème fondamental car il n’existe pas d’outils aujourd’hui à destination des jeunes pour les aider à vérifier une information. Ils sont la plupart du temps livrés à eux-même sur internet. Dans ce contexte, l’exposition aux écrans est inévitablement nuisible pour eux. Un travail spécifique de pédagogie est absolument nécessaire pour guider les jeunes dans la jungle d’internet.
À l’issue des délibérations, les 5 membres du jury, préalablement tirés au sort dans le public en début de séance, ont voté à trois voix contre deux pour réhabiliter le portable. Celui-ci ne représente pas un danger pour les jeunes générations, à condition cependant que son utilisation soit encadrée par des adultes.