L’ambiance est feutrée, les participants impatients. Rideaux aux murs, sièges pourpres, tapis au sol… C’est au coeur de l’accélérateur The Family que nous nous sommes donnés rendez-vous pour cette après-midi de grands débats SexTech, ce dimanche 7 octobre 2018.
Lucile Crosetti, présidente de l’association cette année, prend la parole pour nous accueillir : « Pourquoi est-il important de parler des SexTech ? ». Devant une salle comble de curieux, elle s’explique : « Il faut briser les tabous, libérer la parole. Il est temps aujourd’hui de préparer ce qu’il peut se passer au futur, dans un contexte où la technologie décuple nos possibilités ».
Elle accueille Christel Le Coq et Thomas Rohmer pour une première table ronde intitulée « cartes sur table ». L’objectif : nous aider à démêler le sujet des SexTech avec soin.
Christel Le Coq est une entrepreneure militante, une sextech evangelist. Après avoir porté pendant 4 ans le projet B.Sensory — la littérature érotique connectée — Christel s’engage pour la création en France d’un écosystème Sextech permettant l’émergence de projets innovants dans les domaines de l’éducation, de la santé, du plaisir, du handicap… Cette initiative, Sextech for good, comprend notamment la création d’un accélérateur porté par The Corner mais aussi des actions de sensibilisation et de lobbying.
Thomas Rohmer est expert en protection de l’enfance à l’ère numérique, nommé par le Premier Ministre au sein du Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA). Après douze ans consacrés à la prévention, il fonde l’OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Education numérique). « L’impact de la pornographie en ligne et des nouveaux codes de séduction 2.0 » font partie des nombreux sujets sur lesquels il travaille aujourd’hui, autant du côté des parents que de celui des enfants.
Retour sur les moments forts de cette table ronde hautement passionnée et passionnante.
Quelle est votre histoire individuelle et votre vision de la SexTech ?
Christel Le Coq nous fait part des difficultés rencontrées lors de la création de son premier projet entrepreneurial, visant à combiner sextoys et lectures érotiques. « En 2014 on ne parlait même pas de SexTech, il y avait à peine des toys connectés ».
Face aux nombreuses réticences à son projet et au manque de financements, Christel doit mettre la clé sous la porte : « Je me suis aperçue que le plaisir féminin était un sujet politique. »
Christel prend alors la mesure de son ambition : « La sexualité est un sujet de société, alors qu’est-ce qu’on fait ? Si on a des solutions pour que les gens vivent mieux, comment s’en priver ? ». Une réflexion qui la mènera jusqu’à la création de sa propre association de Sextech For Good, dont les quatre piliers sont : le lobbying, la fédération d’acteurs, l’accompagnement de projets et le financement.
Thomas, lui, aborde la question de la SexTech du point de vue de la protection de l’enfance, et donc du rapport des plus jeunes à la pornographie : « il me semblait important d’essayer de répondre aux questions de ces enfants avec beaucoup de bienveillance. »
Il ne veille pourtant à ne pas tomber dans un discours moralisateur, et veut laisser à ces jeunes la liberté de leurs choix. Un combat compliqué, notamment dans notre pays :
« le paradoxe de la France c’est que le sexe est très présent mais on en parle très mal, de manière très caricaturale, on essaye de ranger les gens dans des cases. »
Quels sont les freins qui pèsent sur le secteur de la SexTech ?
Christel Le Coq, dont l’application Sextech fut retirée plusieurs fois des stores, ne pèse pas ses mots : « nous sommes dans une phase de régression des libertés individuelles ».
Elle estime que nous sommes les victimes d’un jeu de dupes, étant contrainte de promouvoir ses sextoys sous la l’angle de la santé — la rééducation du périné — pour être autorisée à faire de la publicité sur les réseaux sociaux. Une hypocrisie qui se retrouve à tous les niveaux : « les banques ne font pas non plus la différence entre pornographie et sexualité. »
Elle estime que la sexualité n’est jamais proprement discutée, et souvent source de blocages. Blocages souvent masculins… « Si j’avais eu face à moi des jurys de femmes et non uniquement d’hommes, ça aurait changé la nature des débats. »
Comment, dès lors, libérer la parole ?
Selon Thomas, qui développe de nombreux projets dans le sens d’un dialogue avec les adolescents : « il ne s’est pas passé grand chose depuis 30 ans… Aujourd’hui il faut essayer des choses, sans se mettre d’œillères. » Par exemple, il faut mieux comprendre la réalité dans laquelle ces jeunes vivent : « ce qui caractérise cette génération d’ados est qu’ils vivent une dichotomie entre la sexualité et la relation affectueuse : ils acceptent très bien l’un sans l’autre. Pourtant c’est une génération très fleur bleue, très romantique. »
Pour libérer la parole, Christel estime qu’il faut parler de toutes les sexualités et de toutes les réalités pornographiques. Elle explique par exemple qu’il existe aujourd’hui de nouvelles formes de contenus pornographiques, plus éthiques mais moins accessibles. Elle souhaite également défendre la sexualité des seniors, souvent niée : « je n’ai pas envie quand je serais vieille qu’un médecin me dise si j’ai le droit de prendre du plaisir, de me sentir vivante, d’aimer. » Elle s’indigne : « Est-ce qu’on se dit que ça n’existe pas ? Ou est-ce qu’on se donne les moyens de trouver des solutions ? »
Thomas nous répond avec son expérience auprès des jeunes : « il est primordial dès le plus jeune âge de faire comprendre des notions comme le respect du corps des autres, le consentement. » Christel se joint à lui : « Oui, la sextech doit nous permettre d’aller vers une société plus inclusive. » L’image est belle :
« Faire l’amour c’est universel, dans le monde entier. Donc ça ne devrait pas être si compliqué de faire bouger les choses. On a tous à y gagner ! »
Que penser des dangers que peut faire peser la technologie sur notre rapport à la sexualité ?
Thomas juge qu’il est important de parvenir à protéger les enfants des sites pornographiques. Il souligne que le modèle économique de ces sites les pousse à montrer du contenu de plus en plus trash, et qu’il est nécessaire de bien comprendre la manière dont tout ce système est financé — et à quel point il génère des quantités de données impressionnantes sur ces utilisateurs.
Christel veut mettre en avant, non pas le côté anxiogène des nouvelles technologies, mais « le monde passionnant des possibles, vers une société plus ouverte où les gens s’aiment mieux ». Quand on lui demande alors ce qu’elle ferait avec dix millions d’euros, elle répond du tac au tac : « Je hacke l’Assemblée Nationale et je créé un ministère du plaisir !»
Plus sérieusement, elle explique qu’elle investirait aux quatre niveaux d’actions de son association de Sextech for good, pour créer un écosystème vertueux et en inventer les nouveaux métiers.