Une étude révèle les outils et techniques, parfois radicales, pour surveiller les enfants et les adolescents.
Les enfants et adolescents français sont de plus en plus tôt équipés en smartphones et écrans connectés. C’est ce qui ressort des chiffres d’une étude Médiamétrie menée entre septembre et octobre 2019, et rendue publique lundi 10 février, pour le compte de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) et de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), avec le soutien de Google.
Réalisée à partir d’entretiens menés dans plus de deux mille foyers français où vivent des enfants et adolescents âgés de 0 à 14 ans, elle établit que 49 % de ces derniers « possèdent au moins un équipement » numérique. En tête du classement figurent les smartphones, les consoles et les tablettes.
Pour les smartphones, l’étude indique que 21 % des enfants des foyers interrogés disposent de leur propre terminal, et que l’âge moyen d’accès à cet objet est de 9,9 ans. « C’est une grosse nouveauté, réagit Thomas Rohmer, président de l’OPEN. On avait tendance à considérer que le saut se faisait en moyenne avec l’entrée au collège. Mais l’accès au smartphone se décale, on est maintenant vers le CM1 ou le CM2. »
Des sujets « très discutés dans les familles »
Cette étude est publiée en amont de la Journée mondiale pour un Internet plus sûr (Safer Internet Day), mardi 11 février, qui vise à rendre « l’Internet plus sûr » à travers des campagnes de sensibilisation menées par des acteurs institutionnels, des associations et entreprises. Elle se concentre cette année sur « la place des écrans dans la famille », et les outils accessibles aux parents français en matière d’éducation et d’accompagnement.
« On peut croire que les parents sont désintéressés, mais, la plupart du temps, ce sont des sujets très discutés dans les familles », détaille M. Rohmer. L’étude Médiamétrie le confirme : « 95 % des parents interrogés mettent en place au moins une règle pour contrôler les usages numériques de leurs enfants. Et les règles liées à la limitation d’usage des écrans (en temps, lieu, etc.) sont les plus sollicitées », indiquent les résultats.
« Pour tous, pas d’écran dans les chambres », explique, par exemple, Pierre, 39 ans, informaticien dans un « petit village », qui a répondu à un appel à témoignage lancé par Le Monde.
« Pour les enfants (6 ans et 11 ans), pas d’écran les jours d’école (matin et soir), et les mercredis, samedis et dimanches c’est deux heures trente maximum par jour. (…) Les enfants mesurent leur temps, parfois on contrôle (rarement), et s’il y a dépassement, le jour suivant les écrans sont interdits. »
Contrôler ou vérifier ce « dépassement » lorsqu’un enfant dispose de son propre smartphone peut cependant s’avérer délicat – ce d’autant plus qu’un tel appareil, nomade, peut facilement se cacher et se consulter à l’abri des regards, par exemple dans sa chambre ou tout autre endroit sans adulte. Par exemple, selon Médiamétrie, 70 % des enfants de moins de 14 ans qui utilisent un écran pour « se rendre sur les réseaux sociaux » le font « seul(e) ».
Confiscations, applications…
Pour garder le contrôle, certains parents évoquent des solutions radicales. Paola, 41 ans, dit avoir changé d’avis et procédé à une « confiscation totale » après avoir essayé de confier des « iPhone à ses deux garçons, de 11 et 13 ans ». Ils étaient notamment trop « à l’affût de leurs copains sur les réseaux sociaux », déplore-t-elle.
D’autres parents disent recourir à des applications de contrôle parental. Ces services permettent de vérifier combien de temps un smartphone ou une tablette est utilisé chaque jour, et quelles sont les applications qui y sont les plus utilisées. Certains proposent de les verrouiller automatiquement après dépassement de la limite d’un temps quotidien.
Si de tels outils peuvent être gratuits (Apple les a intégrés dans ses réglages iOS, tandis que Google a sorti Family Link pour superviser les enfants utilisant des appareils Android), des éditeurs fournissent aussi des solutions payantes (Kaspersky Safekids, Norton Family, Parents dans les parages, Xooloo, etc.). « Pour notre fils de 12 ans, nous utilisons l’application Family Link de Google pour limiter le temps global d’écran et de jeux de son smartphone », raconte Jean-Bernard, habitant à Fontenay-le-Fleury (Yvelines).
Pour Thomas Rohmer, de l’OPEN, ces applications ne sont pas « la solution magique à tous les problèmes. Ce sont des outils, parmi d’autres, pour suivre, ou encadrer un enfant dans ses pratiques numériques ». De plus, il existe des moyens de contournement, dans lesquels les enfants s’engouffrent. « L’aîné a trouvé comment changer les paramètres depuis son téléphone, sans avoir accès au mien », explique au Monde Etienne, de Jullouville (Manche), en parlant de l’application Family Link. « Mon enfant m’a dit que ce sont des potes de collège qui lui ont donné l’astuce pour se libérer du joug paternel ! GAFA = 0, ados = 1… »
Ces méthodes sont souvent accessibles dans des tutoriels YouTube ou ailleurs sur le Web, trouvées par des petits malins qui exploitent des défauts de conception (comme ceux qui ont été trouvés sur les contrôles parentaux d’Apple sur iOS peu de temps après leur déploiement, ou sur Family Link avec l’assistant vocal de Google). « Les enfants sont doués technologiquement, et aucune application n’est parfaite », souligne M. Rohmer.
Mesures « difficiles »
De tels services sont, du reste, souvent impopulaires chez les premiers concernés. « Mon fils de 12 ans adore les jeux sur écran » fonctionnant sous Android et Windows, témoigne Jérôme, ingénieur de 47 ans vivant à Grenoble :
« Difficile de savoir ce qui est raisonnable. Je me contente donc d’un rapport hebdomadaire. Et je l’évoque régulièrement avec mon fils pour qu’il ait conscience du temps passé. Il n’aime pas du tout que je lui annonce qu’il a passé douze heures devant son ordinateur la semaine précédente… »
Selon Médiamétrie, restreindre le temps d’usage quotidien ou hebdomadaire des écrans chez les enfants de moins de 14 ans est, de fait, la mesure la plus « difficile » à appliquer actuellement dans les foyers français ; 35 % des parents interrogés jugent de telles limitations « difficiles » ou « très difficiles » à faire respecter.
« Cela a été conflictuel le temps de la mise en place », témoigne Jean-Bernard après l’installation de Family Link sur le smartphone de son fils de 12 ans. « Nous fixons des limites, c’est notre choix, et c’est toujours plus difficile à expliquer et justifier par rapport à tous les copains dont les parents n’en fixent aucune », détaille-t-il.
Après avoir toutefois « passé du temps pour chercher, trouver et mettre en œuvre ces solutions », le résultat est positif, selon lui : « Finalement, notre fils apprécie de pouvoir garder son téléphone en permanence avec lui. Avant il devait nous le rendre pour limiter l’utilisation, ce qui était encore plus générateur de conflits. »
Des applications d’espionnage aussi utilisées
Pour le président de l’OPEN, ces contrôles, quand ils ont lieu, se font forcément en lien étroit avec les enfants : ils permettent de « poser un dialogue entre le parent et son enfant », qui ensuite « conduit à une responsabilisation de l’utilisation d’un smartphone ou d’une application, mais aussi à un accompagnement », apprécie-t-il.
D’autres pratiques s’avèrent bien plus opaques. L’étude Médiamétrie dévoile par exemple que 24 % des parents français interrogés disent avoir, à un moment donné, utilisé des « logiciels d’espionnage », sans forcément l’avoir dit à leurs enfants.
« Ce sont des logiciels espions, trouvables pour quelques centaines d’euros, qui permettent, une fois installés à l’insu du possesseur de smartphone, de surveiller tout ce qu’il fait : écouter les conversations téléphoniques, voir les textos échangés, son activité sur les réseaux sociaux… Les parents qui utilisent cela sont avant tout dans le flicage », précise Thomas Rohmer. « Ils espionnent leurs enfants dans leur dos pour se rassurer eux-mêmes. On n’est pas dans l’accompagnement, mais dans la surveillance, le flicage sans dialogue », regrette-t-il.