UNE LOI À LA LOUPE // Mercredi 12 février, l’Assemblée nationale a voté une loi pour encadrer le travail des enfants youtubeurs et influenceurs.
L’annonce de cette loi arrive comme une réponse à Selfie, ce film sorti en janvier dernier où l’on suit les excès d’une famille française prête à tout pour augmenter l’audience de sa chaîne YouTube. Scénarisation des enfants, pression des parents pour afficher des grands sourires devant la caméra… On y voit un père qui filme chaque détail du quotidien, et ce même quand ses deux adolescents sont au bord de la crise de nerfs. Pour éviter ce type de dérapage, l’Assemblé nationale vient de voter une loi qui encadre le travail des enfants youtubeurs et influenceurs. On vous la décortique.
1/ De quoi s’agit-il ?
Le 12 février, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi sur l’exploitation commerciale de l’image des enfants de moins de 16 ans sur Internet. “Ces dernières années, on a vu apparaître beaucoup de chaînes YouTube ou comptes Instagram familiaux avec la mise en scène de jeunes publics. L’idée n’est pas de les interdire, mais de tirer la sonnette d’alarme sur les dérives de certains parents”, nous explique Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (Open). Il a travaillé à l’élaboration de cette loi, portée par Bruno Studer, le député LREM du Bas Rhin et président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Ce texte de loi permet de mieux définir le statut des enfants et vient surtout combler un flou juridique sur les activités commerciales des mineurs sur Internet. En clair, il s’agit d’encadrer les horaires et les revenus des jeunes de moins de seize ans dont l’image est diffusée sur des plateformes vidéo comme YouTube, Instagram et désormais TikTok.
C’est du jamais vu. Si la proposition de loi à l’Assemblée nationale est adoptée au terme de son parcours législatif, la France serait à le premier pays à aller aussi loin sur ce type d’encadrement. “Beaucoup d’associations étrangères nous ont contacté pour suivre notre exemple”, confie Thomas Rohmer.
2/ Qu’est ce qui change ?
Concrètement, cette mesure devrait éviter les dérapages de parents qui sont prêts à tout pour faire croître l’audience de leur chaîne. Comme pour les enfants acteurs ou mannequins, cette loi entend encadrer leur temps de tournage.“Dès lors qu’on dépasse un certains temps, cette activité vient rompre l’intégrité physique et morale des enfants, même quand les familles plaident l’activité loisir”, assure Thomas Rohmer. Et de préciser : “Aucun enfant n’a envie d’être filmé en train de manger des chips, de déballer des cadeaux toute la journée”, se désole-t-il. Ce temps de travail sera défini prochainement par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
3/ Qu’en est-il pour la rémunération ?
“Cette activité dite de loisirs génère beaucoup d’audiences, donc des revenus financiers. À plus de 150.000 euros par an pour certaines chaînes familiales, il faut mettre un cadre pour protéger les plus fragiles, à savoir les enfants” assure l’expert. Seul bémol : les rémunérations de cet écosystème sont assez complexes. Pas évident de trancher entre la publicité en ligne, les placement de produits, et les autres avantages en nature comme les cadeaux, les voyages…“Le gros défi de cette loi reste de faire des propositions en lien avec la réalité du terrain”, poursuit-il.
A l’heure actuelle, ce sont les parents qui empochent les gains et décident eux-mêmes s’ils les partagent avec leur enfant. La nouvelle loi prévoit quant à elle une rémunération en grande partie bloquée auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à la majorité de l’enfant. “Cela évitera de se retrouver avec une génération de futurs Jordy”, cite-t-il en exemple. Jordy est l’enfant star de “dur dur d’être bébé” qui a dû assigner ses parents en justice pour avoir sa part du gâteau.
L’autorité administrative pourra également saisir un juge des référés qui sera en mesure de contraindre la plateforme à retirer les contenus des chaînes qui ne respectent pas la future loi. Par exemple : si la durée légale de travail est dépassée ou que l’enfant est contraint.
4/ Et quand toute la famille figure dans les vidéos ?
“Dans ce cas particulier, les enfants deviennent des figurants”, explique l’expert de l’Open. La loi prévoit une réglementation pour les vlogs familiaux, mais sans en avoir encore défini les contours. Au-delà des vlogs, cette réglementation concernerait aussi les vidéos en ligne comme Instagram et TikTok où les enfants apparaissent dans les vidéos de leur parents.
5/ Qu’en est-il du droit à l’image ?
“Cette loi permet de s’interroger sur le droit à l’image des enfants”, observe Thomas Rohmer. Avec cet encadrement, les créateurs de contenus qui embauchent des mineurs de moins de 16 ans, qu’il s’agisse ou non de leurs enfants, devront ainsi obtenir une autorisation auprès de la commission des enfants du spectacle. “L’idée est de protéger le droit à l’image de l’enfant dans le cas où ces derniers seraient pris en otage par des parents censés les protéger”, dénonce l’expert.
L’idée derrière est de préserver l’image future de ces enfants, notamment quand ils auront atteint l’âge adulte. “Que va-t-il se passer quand ils devront s’insérer sur le marché de l’emploi. Auront-ils envie que les recruteurs trouvent des vidéos d’eux en train de barboter dans le bain ?” s’interroge Thomas Rohmer. Le texte prévoit un droit à l’oubli pour les enfants mis en scène sur les plateformes. Même avant leur majorité, ils pourront s’adresser au service de partage de vidéos qui sera dans l’obligation de faire cesser la diffusion de l’image du demandeur lorsque celui-ci était mineur à la date de ladite diffusion.
6/ Quid des plateformes alors ?
Les plateformes devront désormais informer les usagers sur la loi, les droits de l’enfant et les risques psychologiques. En terme d’actions, l’idée est de favoriser un système de signalement et de collaborer avec les associations françaises de protection de l’enfance. Elles devront par exemple adopter des chartes qui ont pour objectifs d’améliorer la lutte contre l’exploitation commerciale illégale de l’image des enfants. A l’initiative de Hasbro, une société américaine de jouets, la Fédération française des industries jouet puériculture (FJP) a signé, en janvier 2020, une charte éthique concernant le recours à des enfants influenceurs dans ses campagnes de promotion. Le non-respect des obligations sera passible de 75.000 euros d’amende.