Alors que 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques en France, des associations de protection de l’enfance jugent que le projet de loi pour sécuriser internet adopté par l’Assemblée est « une occasion manquée ».

« Un micmac inapplicable » : des associations de protection de l’enfance déplorent une occasion manquée avec l’adoption définitive mercredi du projet de loi sur la régulation numérique, dit « Sren », dont le volet sur la protection des enfants leur laisse un « goût amer ».

« Tout ce qui peut aller dans le sens de mieux protéger les enfants face à ces contenus, on est prêt à signer », assure auprès de l’AFP Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open). « Mais là, on nous réinvente une espère d’usine à gaz, on ne peut pas faire plus compliqué, c’est un micmac incompréhensible et inapplicable », ajoute-t-il, déplorant « beaucoup de blabla, de temps perdu » et « une occasion manquée ».

Selon l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques en France. Dès 12 ans, plus de la moitié des garçonsutilisant internet se rendent en moyenne chaque mois sur ces sites. Face à ce constat, les autorités tentent depuis plusieurs années d’accentuer la pression sur les sites pornos en leur imposant de vérifier l’âge des utilisateurs, une obligation réaffirmée dans une loi de 2020 mais sans succès probant à ce stade.

Vérification de l’âge : la méthode n’a toujours pas été tranchée

Afin d’agir « plus vite et plus fort », le gouvernement donne à l’Arcom, via son projet de loi « Sren », un pouvoir de blocage administratif des sites qui ne vérifieraient pas correctement l’âge, sans passer par un juge comme c’est le cas actuellement.

« On a l’impression que tout le monde attend la solution miracle et le système idéal de vérification d’âge qui serait à 100 % fiable, or ça n’existe pas », estime sur franceinfo Justine Atlan, la directrice générale de l’association e-Enfance, association de protection des enfants sur Internet.

La question de la méthode de vérification de l’âge, qui soulève de nombreuses questions en termes de faisabilité technique, n’a toujours pas été tranchée. Le texte renvoie à l’Arcom la responsabilité de dessiner les contours d’un « référentiel technique », c’est-à-dire une solution concrète pour permettre cette vérification au-delà d’un simple clic.

Une « déresponsabilisation » des plateformes qui fait bondir Arthur Melon, délégué général du Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (Cofrade). « Si on constate que les mineurs ont toujours accès aux contenus, les plateformes vont dire que ce n’est pas de leur faute, qu’elles se sont conformées au référentiel et que si ce dernier n’est pas efficace, il faut voir avec l’Arcom », estime-t-il.

Un avis partagé par Céline Piques, d’ « Osez le féminisme ! ». « Le référentiel, c’est ce que les sites veulent pour gagner du temps. Le gouvernement déroule le tapis rouge aux sites pornos », déclare-t-elle à l’AFP, dénonçant « un sabotage ». Elle déplore également le fait que les prérogatives de blocage de données à titre uniquement expérimental, à la plateforme de signalement Pharos, soient limitées aux images d’actes de torture ou de barbarie, laissant de côté le viol, l’inceste et la diffusion de contenus contre l’avis de la personne.

Et les plateformes étrangères ?

Des voix se sont parallèlement élevées pour s’inquiéter du fait que dans un souci de conformité vis-à-vis du droit européen, le pouvoir de régulation de l’Arcom sur les sites n’empêchant pas les mineurs d’accéder à leur contenu ne concerne que les plateformes établies en France ou hors de l’Union européenne.

Or les principales plateformes s’y trouvent, comme Pornhub et Xhamster à Chypre, Xvideos et Xnxx en République tchèque et Tukif au Portugal. Dans le cas d’un site hébergé dans un pays de l’UE, un recours devra être fait auprès des autorités locales. Si elles ne réagissent pas, « l’Arcom pourra imposer les sanctions, comme pour les plateformes en France et à l’international », a assuré le député Paul Midy, rapporteur du texte.

Un texte qui « prête le flanc à des ergotages juridiques »

Plus globalement, le projet de loi ne va faire que « complexifier » la donne par rapport à la loi de 2020 qui comporte certes des écueils, mais qui était « plus simple à mettre en œuvre », selon le Cofrade et l’Open. « La loi actuelle ne comporte qu’un alinéa et malgré cela, les plateformes ont réussi à faire traîner les procédures judiciaires pendant des mois et des mois », relève Arthur Melon qui estime que le nouveau texte, avec sa « multitude de procédures » va « prêter le flanc à des ergotages juridiques ».

Le texte comporte « des délais et des interlocuteurs qui s’entremêlent, on vient complexifier les choses », renchérit Thomas Rohmer, qui « prend le pari que le Conseil constitutionnel va être rapidement saisi par les sites ». « On est dans une mauvaise série qui est loin de se terminer, avec en attendant des millions d’enfants qui risquent d’être exposés aux sites pornos ».

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